Interaction symbolique, improvisation, créativité artificielle en musique

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Jeudi 6 février 2014 à 14h00, dans la prestigieuse Salle Pasteur au premier étage du Palais Universitaire, 9 Place de l'Université, 67000 Strasbourg.

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Gérard Assayag

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Georges Bloch




Interaction symbolique, improvisation, créativité artificielle en musique

Vidéo de la conférence

Comment permettre aux musiciens d'interagir avec des artefacts numériques capables d'improviser, qui apprennent et s'améliorent continument en étant exposés à des sources musicales ? Nous proposons un changement conceptuel radical dans l'interaction musicale en temps réel : jusqu'à maintenant , les ingénieurs et les chercheurs ont été obsédés par le temps de réponse de la machine, répondant ainsi à un défi technique. Cependant , une réponse instantanée ne correspond pas nécessairement à la façon dont un musicien réagit dans une situation de performance réelle . Bien que les décisions soient prises à un moment précis , le processus de décision repose sur l'évaluation du passée , l'analyse des événements entrants et les stratégies d'anticipation . Par conséquent , non seulement le musicien peut prendre un certain temps pour arriver à un choix , mais ce dernier peut aussi concerner une action retardée dans le futur proche. Ce processus implique des représentations de la mémoire et du temps à différentes échelles, comme dans la composition, d'ailleurs , et ne peut pas être modélisé simplement par le traitement de signal et la programmation réactive comme le seraient, par exemple, les effets audio-numériques.

Afin de garantir un comportement réaliste et artistiquement intéressant des systèmes interactifs numériques , et de communiquer avec eux d'une manière riche , nous mettons en synergie une combinaison de moyens : écoute artificielle, apprentissage symbolique, modélisation de séquences, heuristiques de génération et d'anticipation, et, plus récemment, dynamique de l'information musicale (musical information dynamics), voire représentations géométriques. Ces techniques sont mises à contribution pour configurer des agents créatifs autonomes capables de propositions musicales que ce soit dans des situations de dialogue libre humain - machine, ou dans des situations de jeu augmenté dans lesquelles la machine accompagne, enrichit, prolonge le jeu du musicien par exemple dans le domaine harmonique. Le logiciel OMax (et ses descendants dont SoMax) est le résultat concret de ces recherches et constitue aujourd'hui une référence reconnue en matière de modélisation de l'écoute et de l'improvisation.

Dans OMax, la séquence musicale apprise est transformée en une représentation complexe de graphe que l'on peut voir comme une cartographie. Cette dernière est déployée dans une topologie de plus grande dimension que la simple ligne séquentielle. La musique réellement jouée par l'interprète n'est alors qu'un chemin particulier sur la carte, qui permet par ailleurs de choisir grand nombre d'autres chemins en accord avec la stabilité stylistique. C'est en parcourant ces chemins, en choisissant ses propres bifurcations, qu'OMax « improvise ». Un duo entre un musicien et OMax peut constituer une expérience complexe qu'on a désignée sous le terme de « réinjection stylistique ». En effet le mécanisme de l'improvisation en général est en grande partie lié à des phénomènes de recombinaison mémorielle. De ce fait, tout en apprenant et en improvisant, OMax ne fait rien d'autre que réifier instantanément le mécanisme auquel le musicien lui-même se livre. Ce faisant, il délivre en surcroît des propositions, confortables ou déstabilisantes, au musicien qui en tient nécessairement compte dans sa stratégie, susceptible alors de se reconfigurer. Mais ces infléchissements sont eux-même appris par le logiciel qui les intègre à leur tour dans son modèle, ce qui engendre une situation de feed-back, ou réinjection, à un niveau qui n'est plus celui du signal acoustique, mais plutôt celui de la mémoire et des stratégies temporelles.

L' interaction symbolique issue de ces processus tend à définir un nouveau paradigme dans la musique par ordinateur (computer music) , et elle peut avoir d'autres applications multimédia. Réunir la composition et l'improvisation à travers l'apprentissage et la modélisation de structures et de processus cognitifs liés à la mémoire est une idée générale qui fait sens dans de nombreux domaines artistiques et non artistiques . C'est un paradigme de prise de décision où une stratégie doit être trouvé afin de tisser des choix pas à pas, soit en se soumettant à un déterminisme structurel global qui impose sa logique, soit "sautant" de manière improvisée - mais contrôlée - en générant une surprise . Cela fonctionne bien dans l'improvisation musicale, comme dans d'autres pratiques humaines, parce que l'un des facteurs que nous associons aux organismes complexes est précisément ce mélange de comportement déterministe et d'innovation surprenante, susceptibles de faire émerger de nouvelles formes.


  • Gérard Assayag : Gérard Assayag a fondé l'Equipe Représentations Musicales à l'Ircam et il y dirige actuellement l'unité mixte de recherche Sciences et Technologies de la Musique et du Son (UMR STMS, Ircam/CNRS/UPMC) . Avec Carlos Agon, il a conçu l'environnement d'aide à la composition et l'analyse musicale OpenMusic, aujourd'hui internationalement utilisé et enseigné. Avec ses collègues OMax Brothers, dont Georges Bloch, et à la suite de ses travaux sur la modélisation sylistique en collaboration avec Shlomo Dubnov il a conçu le logiciel d'improvisation OMax, devenu une référence en improvisation avec ordinateur. Ses centres d'intérêts sont les langages et les modèles informatiques pour la représentation et la manipulation de structures musicales ainsi que les nouveaux paradigmes d'apprentissage symbolique et d'interaction pour l'informatique musicale et la créativité artificielle.
    Gérard Assayag est un membre fondateur de l’AFIM (Association française d’informatique musicale), et membre du FWO Society on Foundations of Music Research. Il a organisé le « Forum Diderot, Mathématiques et Musique » avec la Société Européenne de Mathématique en 1999 (publié par Springer Verlag en 2001) ainsi que plusieurs conférences internationales sur la musique avec ordinateur, dont la conférence Sound and Music Computing 2004, incluant un atelier/concert international sur l’improvisation avec l’ordinateur. Récemment, il a participé à la fondation du projet The Journal of Mathematics and Music, qui est affilié à divers institutions telles que l’Ircam, l’Université de Yale, et l’Eastman School of Music, et a co-organisé en 2012 avec New York University et Columbia University l'événement ImproTech Paris-New York 2012, workshop international avec concerts autour de l'improvisation dans ses relations à la technologie numérique.

  • Georges Bloch, compositeur et chercheur, a fait des études d’ingénieur avant de passer un doctorat de composition (Ph.D.) à l’université de Californie à San Diego. Ses compositions portent essentiellement sur l’interaction avec les interprètes ou les espaces bizarres. Il enseigne à l’université de Strasbourg et a joué un rôle important dans le développement de formations de Tonmeister (musicien-ingénieur du son) en France, à Strasbourg puis au Conservatoire de Paris. Son intérêt pour le répertoire lyrique l’amène à travailler souvent sur la dramaturgie musicale. Il est chercheur à l’Ircam dans l’équipe représentations musicales où il travaille notamment sur OMax et Somax, des systèmes d’improvisation assistée par ordinateur.